Au-delà – mais je devrais plutôt dire à la base – de tous les programmes biologiques qui « tournent » dans notre corps, il y a un programme biologique de base.
Au moment de notre conception, nous sommes comme un ordinateur qui vient de sortir de l’usine, encore dans son emballage. Je sais, la comparaison n’est peut être pas très reluisante, mais elle va rendre les choses plus claires. Vous sortez l’ordinateur de sa boîte. Une fois que tout est déballé, et que les éléments sont reliés, le grand moment arrive : vous branchez la prise électrique. Alors que rien ne s’était produit jusque-là, votre ordinateur s’anime. Des quantités de signes cabalistiques défilent sur l’écran, et on vous demande de patienter. L’ordinateur est en train de s’initialiser. En réalité, à l’intérieur, il y avait déjà un programme que l’on nomme le « système ». Ce système est le programme de base qui va permettre de faire fonctionner tous les autres programmes et la gestion des données.
Le programme système, en biologie, s’appelle la survie. Notre programme de base en biologie consiste à nous faire durer le plus longtemps possible, dans le meilleur état possible. Il s’agit de la survie de l’individu, et au-delà, de la survie de l’espèce. Mais il y a une suite à l’histoire.
Dans l’ordinateur, une fois le programme système en route, vous allez devoir ou pouvoir ajouter quantité d’autres programmes – dits de gestion – qui vont exécuter différentes fonctions. Pour que ces programmes fonctionnent, il va falloir que vous leur fournissiez des éléments, les données. Un programme sans données ne peut pas produire de résultats. On verra un petit peu plus loin, en ce qui concerne les données, une autre analogie avec l’informatique que les Anglo-Saxons nomment : « garbage in, garbage out », soit, en français : déchets à l’entrée, déchets à la sortie (la qualité de ce qui en sort dépend de la qualité de ce qu’on y fait entrer).
En biologie comme en informatique, un programme de gestion… gère. Que le programme soit un programme de traitement de texte, de calculs, de digestion, de comportement, il va utiliser des données, entrées par l’opérateur ou fournies par l’environnement, et les traiter pour produire un résultat.
Nous n’allons pas nous attarder plus longtemps avec l’analogie informatique, mais plutôt nous concentrer sur nos programmes de gestion de données fournies par l’environnement – interne et externe –, sous la coupe de notre programme biologique de base.
Une chose importante, qui nous différencie des ordinateurs – ouf ! – c’est que nous sommes apprenant. En effet, à force d’emmagasiner des données et de les traiter, nous évaluons les résultats, nous en tirons des conclusions, nous prenons des décisions : nous acquérons de l’expérience. Éventuellement, les décisions prises se font sous forme de promesses que nous nous faisons ou de contrats que nous prenons avec nous-mêmes. Par exemple : j’ai deux ans, je m’approche du four dans lequel cuit une tarte, je pose ma main sur la porte, je me brûle, j’en conclus qu’il ne faut pas toucher la porte d’un four. Je me fais la promesse que plus jamais je ne toucherai la porte d’un four. Mon programme de survie est bien respecté, plus de mise en danger, jamais, avec une porte de four.
Ce genre d’apprentissage est utile, il me permet de maintenir mon intégrité physique. Cela dit, il viendra un moment où il sera intéressant de faire la distinction entre un four froid et un four chaud. Cela veut dire qu’il faudra, dans le futur, que je révise la promesse que je me suis faite pour l’adapter à ma nouvelle connaissance. Je ne vais pas me fâcher contre le petit de deux ans que j’étais, je vais simplement lui faire savoir que les portes de four ne sont pas toutes brûlantes et ainsi, je vais le faire grandir. Ca, c’est l’apprentissage qui vient naturellement avec les années. C’est « bénin ».
De nombreux comportements se sont construits à partir de « décisions » prises il y a parfois fort longtemps dans notre histoire, voire transmises par notre généalogie.
Reprenons l’analogie avec l’ordinateur une dernière fois. Plutôt que de réinventer des solutions à chaque fois, notre cerveau biologique / ordinateur scanne toutes les solutions qu’il a déjà en stock ou en mémoire. C’est infiniment plus rapide… et quand il y a urgence, c’est important d’être le plus rapide possible. Voilà pourquoi, quand des « données » nous arrivent, elles sont immédiatement comparées à notre stock en mémoire et si cette comparaison donne une réponse, même approximative, de « déjà connu », notre cerveau va fournir exactement la même réponse qu’à l’origine. Voilà pourquoi à 25 ans, à 40 ans, à 75 ans, on peut encore donner des réponses qui ont été construites à l’âge de 2 ans, 5 ans, ou même pendant la vie intra-utérine ou encore dans la vie d’une grand-mère dont on n’a pas idée.
Exemple : une phobie de l’eau. Si, étant petit, au bord de la mer, j’ai été bousculé par une vague et j’ai bu la tasse ou bien si, au cours de mon arrivée au monde, je me suis un peu « noyé » dans le liquide amniotique ou bien si j’ai vu mon petit frère ou ma petite sœur se noyer sous mes yeux sans pouvoir rien faire ou bien si mon grand-père s’est noyé dans des circonstances dramatiques, alors mon cerveau porte en mémoire : « eau = danger de mort ». (voir l’articles « Les trois niveaux du cerveau »)
Je vais poser quelque chose ici, qui devra faire l’objet d’un article séparé, c’est que le cerveau biologique peut faire beaucoup de choses biologiques de toutes sortes, mais il est un très mauvais gestionnaire de stress. Toujours dans le cadre de la survie, et parce qu’il ne sait pas gérer le stress, il va faire tout son possible pour le diminuer, à son niveau. Le hic, c’est que son niveau n’est pas forcément le nôtre.
Reprenons notre phobie. Pour être tranquille, mon cerveau n’a besoin que d’une seule chose, c’est que je ne m’approche pas du danger de mort, c’est-à-dire que je ne m’approche pas de l’eau, d’aucune eau ! Quelle merveilleuse solution qu’une belle phobie de l’eau ! Avec ça en place, cette promesse faite inconsciemment de ne plus jamais s’approcher de l’eau, assortie d’une sensation comprise entre un inconfort et une grande frayeur (fournie par la mémoire de l’événement dramatique du départ) va garantir la plus extrême tranquillité à mon cerveau : aucune chance que j’aille me noyer. D’accord, ça me pourrit la vie : je ne peux pas accompagner mes enfants à la piscine, les vacances au bord de la mer, c’est exclu, une balade en bateau c’est pareil… Cela dit, du point de vue de mon programme biologique de survie, c’est tout simplement parfait !
Au lieu de me détester, de me critiquer, de me mal juger, pour ce comportement phobique, je peux déplacer mon regard vers le petit que j’étais quand la solution a été choisie de ne plus s’approcher de l’eau. Si j’avais deux ans ou quatre ans ou que j’étais en train de naître, je n’avais ni beaucoup de recul, ni beaucoup d’expérience ! Comment m’en vouloir d’avoir était si radical ? N’est-ce pas le moment de prendre ce petit avec tendresse dans mes bras imaginaires, de le rassurer, de l’informer c’est-à-dire de lui fournir de nouvelles « données » plus compatibles avec mon âge et mon expérience de maintenant ?
La porte du four, la phobie de l’eau, voilà des exemples faciles à comprendre et dont on peut souvent retrouver l’origine : les « données » sur lesquelles réponses et décisions ont été prises.
Au fond, toute notre vie présente pourrait être « relue » de la même façon : nos comportements, nos habitudes, nos goûts et nos dégoûts, etc.
Mais c’est une longue histoire…